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Depuis les premières alertes du printemps 2023 sur les violences sexuelles dont étaient victimes les femmes déplacées au Nord-Kivu ainsi que sur les graves carences du système de l’aide à destination des camps de déplacés de Goma, la situation n’a fait que se détériorer. Selon une enquête réalisée par Médecins sans frontières (MSF) en avril 2024 dans quatre sites de déplacés, parmi les jeunes femmes adultes de 20 à 44 ans, plus d’une sur dix déclarait avoir été violée au cours des cinq mois précédents.
Depuis le début de l’année 2024, on observe en outre une augmentation du nombre de survivantes de violences sexuelles accédant aux soins : dans la seule province du Nord-Kivu, 17 363 victimes ont été prises en charge par MSF entre janvier et mai, comme le révèle un rapport publié le 30 septembre.
Dans environ 70 % des cas de violences sexuelles rapportées aux équipes de MSF, les auteurs sont des hommes armés. La majorité de ces violences a lieu hors des camps, lors de la collecte du bois ou de nourriture. Si le fait de se déplacer en groupe semblait auparavant constituer une protection relative, notre personnel soignant constate depuis les mois de mars et avril une augmentation des viols collectifs.
Enfin, nombre de survivantes indiquent avoir subi des violences sexuelles à plusieurs reprises depuis leur arrivée dans les camps. Bien qu’étant déjà particulièrement élevés, ces chiffres sont néanmoins très probablement sous-estimés ; la peur de subir des représailles de la part des agresseurs, ainsi que la crainte d’être rejetée par la famille et par la communauté, constituant des facteurs importants de non-recours aux soins.
Alors que les déplacements de population en direction de Goma se sont poursuivis – selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), le nombre de personnes déplacées autour de la capitale provinciale est passé de 340 000 en décembre 2023 à plus de 600 000 en mai 2024 – et que le conflit opposant M23 et troupes soutenant le pouvoir congolais ne s’est pas apaisé, le dispositif de secours est toujours insuffisant.
Dans cet océan d’insécurité et de précarité matérielle, physique et psychologique, les facteurs de risques s’additionnent : prolifération de groupes armés, y compris dans la ville de Goma, conditions de vie extrêmement précaires dans les sites de déplacés, absence de perspectives économiques, impunité des acteurs de violences.
L’augmentation de la population déplacée a généré une pression accrue sur un système de santé déjà fragile et très sollicité, ainsi que sur les autres services. L’insalubrité liée au petit nombre d’organisations fournissant des latrines, des douches ou de l’eau potable, le défaut d’éclairage dans les camps, contribue à l’augmentation de l’exposition des personnes déplacées à la violence et à l’exploitation, notamment sexuelles, ainsi qu’à la propagation des maladies. Dans plusieurs camps, les femmes sont forcées de déféquer chez elles car il est trop dangereux de se déplacer vers les rares infrastructures accessibles.
L’insuffisance des distributions alimentaires et d’argent contraint de nombreuses personnes déplacées à se rendre dans les collines et les champs autour des sites. Or, ces déplacements comportent un risque élevé de violences sexuelles, de nombreux hommes armés se trouvant dans ces lieux.
Par ailleurs, dans un contexte de précarité extrême, alors que la plupart des déplacés vivent dans des abris de fortune, fabriqués avec du plastique, des moustiquaires et/ou des branches et de la paille, que le prix des matériaux pour les abris ne les rend accessibles qu’à de rares personnes, que l’accès à l’eau, l’hygiène et l’assainissement demeure très limité, tout se monnaye.
Ceci a pour conséquence de favoriser l’exploitation et la prédation. Nos équipes se désespèrent du lien entre la dégradation des conditions de vie dans les camps et l’augmentation de l’exploitation et des abus sexuels, incluant notamment le sexe transactionnel, vu comme seul moyen de répondre aux besoins de première nécessité lorsqu’aucun autre revenu n’est disponible.
Les situations déplorables que nous constatons dans les sites de déplacés formels le sont plus encore dans les camps informels. Confrontée à la perte récurrente de leurs biens et moyens de subsistance, auxquels s’additionnent des traumatismes multiples, la très grande majorité des déplacés n’envisage pour l’heure aucun retour sur leur lieu d’origine.
Malgré des alertes répétées, les acteurs humanitaires répondant aux conséquences des violences sexuelles restent très peu nombreux. Quant aux autorités publiques, elles demeurent absentes, aucune réponse étatique concrète n’étant mise en place afin d’apporter une protection à la population.
En dépit de cette dégradation documentée, les financements accordés à la réponse humanitaire diminuent. Ainsi, bien que le plan de réponse humanitaire ait estimé les besoins en 2024 comme étant supérieurs à 2023, les financements ont diminué : de 1 milliard de dollars en 2022, ceux-ci sont passés à 931 millions en 2023, puis à 593 millions pour l’année 2024, soit tout juste un quart des financements demandés.
A la mi-juin 2024, le cluster de la santé était financé à 8,2 %, celui de la protection à 18,8 % et celui destiné à l’eau, l’hygiène et l’assainissement à 13 %. Il y a urgence à mobiliser l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux afin de mettre en place l’offre de soins spécifiques nécessaires à la prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles, y compris en matière de mise à l’abri.
Deux conditions semblent toutefois indispensables pour tenter de diminuer l’intensité des violences : le renforcement rapide et pérenne des moyens financiers et humains apportés à la réponse humanitaire à Goma, ainsi qu’un travail actif avec la société civile pour mettre fin à l’inaction et l’impunité.
Camille Niel, ancienne coordinatrice d’urgence de MSF à Goma ; Mathilde Simon, responsable de plaidoyer et Dr Livia Tampellini, responsable adjointe des urgences de MSF.
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